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travailler dans l'humanitaire

Travailler à l’étranger dans l’humanitaire : l’interview d’Elie

J’ai connu Elie au temps du lycée, il y a déjà une quinzaine d’années. À l’époque nous faisions de mauvaises vidéos d’action avec du mauvais matos. Bon élève, anticonformiste plutôt que bêtement rebelle, il était spécialiste des cheveux en pics et du chapeau tandis que mes extravagances en mode se limitaient au pantalon de jogging. L’après Bac approchant, il semblait tout comme moi vouloir éviter la vie normale. Il y a quelques jours nos chemins se sont recroisés à l’étranger pendant mon séjour de 3 mois à Melbourne. L’occasion de lui poser quelques questions sur son parcours dans l’humanitaire.

Quel a été ton parcours après le lycée? Est-ce que tu as toujours voulu ce genre de carrière? Est-ce que tu as plongé tout de suite à 100% dedans?

En fait après le lycée (Bac ES), j’avais pas vraiment d’idée précise, donc j’ai d’abord commencé des études généralistes de gestion avant de faire un Erasmus en Écosse. Ce n’est qu’après le tour en Écosse que j’ai découvert une école de commerce (3A à Lyon pour ceux que ça intéresse) plutôt tourné vers les pays émergents d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine (d’où le nom 3A…). Si tu veux, dans l’idée j’ai toujours senti que je ne voulais pas travailler pour une multinationale, une banque ou quelque chose équivalent mais sans idée précise quant au “quoi” exactement. À la base je voulais bosser dans le commerce équitable ou la gestion de projet. Mais au final, j’ai découvert la logistique lors de ma dernière année de master, domaine dans lequel j’ai obtenu un stage de fin d’étude pour Handicap International. Pour moi c’était un peu le jackpot : j’étais intéressé par les métiers de la logistique, et bosser pour une grande ONG comme Handicap International est ce qui m’a permit de mettre mes compétences au service d’une cause qui me parle. Et depuis, c’est l’essentiel de mon activité pro.

Mission humanitaire Laos

Séisme Népal 2015 ONG
Distribution de tentes et d’objets de première nécessité au Népal après le séisme.

Quel sont les points positifs et négatifs de ton métier?

Disons que cette réponse est plutôt personnelle : tout dépend de ce que tu considères comme un point positif / négatif. En ce qui me concerne, dans les points positifs le premier qui me vient en tête c’est la capacité d’apporter un changement positif dans la vie de personnes dans des situations difficiles. Si toi et ton équipe faites bien votre taf’ tu apportes quelque chose de positif dans la vie d’un certain nombre de personnes, et cet aspect là me plaît. Ensuite vient la possibilité de découvrir d’autres cultures, d’une manière différente que durant un simple voyage. Par exemple ma première mission était au Laos dans un village de 800 habitants avec 0 personnes parlant anglais. Donc tu es obligé d’apprendre un peu de la langue locale, de passer du temps sur le marché etc. Tu ne travailles pas de la même manière avec un Lao ou un Pakistanais, tu ne vis pas de la même manière à Erbil ou Port-au Prince, donc tu dois apprendre à vivre et à travailler différemment selon l’endroit où tu es. En ce qui me concerne ce côté gestion du multiculturalisme est un des aspects qui me plaît le plus, dans le sens ou ça donne une vision très différente d’un voyage touristique.

camp RDC
Avec mon équipe de construction, dans un camp de déplacés en RDC. L’idée étant de construire un point santé pour les personnes handicapées du camp.

Dans les aspects moins cool, je pense que c’est relativement évident: primo, on bosse essentiellement dans des pays qui ne vont pas bien, suite à une catastrophe naturelle ou humaine. Donc les conditions de vie ne sont pas toujours des plus agréables: pas forcément d’électricité tous les jours, pas forcément de vraie douche non plus, maisons partagées avec les collègues de travail, restrictions de mouvement dans certains contextes etc. Donc même si tu as des collègues géniaux, quand tu habites, manges, travailles avec les mêmes personnes depuis 6 mois, sans vraiment d’endroit où sortir, ça peut devenir pesant. Évidemment dans certains contextes il y a aussi la gestion du risque. Même si les ONG font un gros travail pour réduire au minimum les risques encourus par ses équipes, tu peux jamais atteindre un “risque 0”. Et ça peut être un peu dur pour les nerfs de savoir que tu n’es jamais vraiment en sécurité.
Last but not least: la bouffe. Plus le contexte est compliqué, moins tu as de variété dans ce que tu manges. Et crois moi, quand tu passes 3 mois consécutif à manger riz – sauce tomate, tu pourrais tuer pour une raclette…

La raclette, mon projet principal en rentrant d’un long voyage ! Justement, quelle est la part de voyage dans tes missions?

Comme je te disais plus tôt, l’essentiel des missions humanitaires se font dans des endroits où il est difficile (voir dangereux) de prendre son sac le week-end pour voir ce qui se passe autour. Donc au final, excepté quelques pays cool où j’ai bossé (Jordanie, Liban, Laos) la part de voyage durant mes missions est assez faible. En revanche, pour préserver la santé mental de ses staffs, les ONG ont un système de récupérations particulier: en gros plus le contexte est difficile, plus les staffs auront régulièrement droit à des jours off et un billet d’avion pour en profiter. Généralement la valeur du billet est assez faible et ne te permet pas de rentrer dans ton pays, mais j’ai pu aller en Thaïlande depuis le Pakistan, et faire un saut à Zanzibar depuis la RDC.

Réfugiées Syriennes Irak
Réfugiées Syriennes dans un camp en Irak.

Quels conseils donnerais-tu à quelqu’un souhaitant faire de l’humanitaire?

A l’instar de beaucoup de domaines, l’aide humanitaire est en train de se professionnaliser, par conséquent mon conseil à quelqu’un voulant faire de l’humanitaire c’est d’abord d’avoir un métier et des compétences particulières avant de vouloir joindre une mission sur le terrain.
Basiquement, les bonnes intentions de suffisent pas et ce, à la fois pour l’organisation et la personne qui s’engage. Quelqu’un sans compétences spécifiques n’aura pas vraiment de valeur ajoutée pour l’organisation et aura rapidement l’impression de ne servir à rien sur le terrain. Ce qui peut être d’autant plus frustrant de sentir qu’on ne sert à rien alors que les populations locales ont des vrais besoins. Pour l’organisation ça veut dire organiser le transport et l’hébergement de quelqu’un qui ne va pas vraiment faire de différence, donc en bref gaspiller ses ressources. Aujourd’hui les métiers de l’humanitaire sont variés, on a des contrôleurs de gestion et des kinésithérapeutes, des logisticiens et des infirmiers… donc pour que ça fonctionne pour quelqu’un qui veut rejoindre le secteur mon conseil serait vraiment d’avoir des compétences spécifiques, pour n’avoir plus qu’à transférer ses compétences dans le secteur de l’humanitaire.

Quelles anecdotes pendant tes missions te viennent en tête?

Je pense à nos équipes de démineurs au Laos qui m’ont invité à la démolition d’un bombe. C’est pas tous les jours que tu peux faire exploser une bombe de 90 kilos avec de la dynamite. D’être allé à Kobane (au nord de la Syrie, tout proche de la frontière turque N.D.R.) pendant une des périodes les plus chaudes.
D’être tombé malade au Pakistan, je recommande d’ailleurs vivement le service des urgences de Karachi.
Ou encore ces 6 jours en 4×4 pour faire seulement 220 kilomètres en RDC… et donc tu fais le chemin inverse en hélico.

bombe vietnam laos
La fameuse bombe datant de la guerre du Vietnam.

Je t’ai retrouvé en vacances en compagnie d’une charmante italienne… et du coup l’amour dans tout ça ?

Et bien ce n’est pas simple comme tu peux l’imaginer! Pour moi ça fonctionne bien parce que ma copine est dans le même secteur, donc depuis 2015 on arrive à travailler dans les même pays. De plus, en bossant dans le même secteur, on se comprend facilement vis à vis des aspects particuliers de notre taf, notamment le stress et la tension qu’il peut y avoir sur une mission où tu travailles 14 heures par jour.
Une relation avec quelqu’un qui resterait en France est difficile à concevoir sur le long terme, dans le sens où la durée de mission peut être flexible et que le décalage de style de vie est tel que tu finis par ne plus te comprendre.

Merci à Elie d’avoir répondu à mes petites questions, si vous en avez certaines plus précises, tentez votre chance dans les commentaires, je l’obligerai à vous répondre 😉

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