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Une journée sans intérêt

Ma journée sans intérêt se déroule à Hô-Chi-Minh-Ville, au Vietnam, et commence dans un dortoir à la température sibérienne.
Dehors, il fait 30 degrés mais à l’intérieur, le climatiseur libère une légère brise glaciale. Hier personne n’a descendu les 4 étages pour se plaindre à la réception. Ni les filles, ni les deux jeunes au look de surfeurs qui sont arrivés dans la soirée en se contentant de remettre leur t-shirt. Pas même ce grand barbu, qui s’est levé de son lit, grelottant, pour observer quelques instants la machine avant de demander au reste de l’assemblée si il était le seul à trembler. Résultat, ma chambre est remplie de jeunes glandeurs voyageurs emmitouflés sous leur couette et j’occupe le matelas numéro 1.
Ce matin midi, si quelqu’un sort de son lit, ce sera à cause de la faim.

Dehors, en l’espace de quelques minutes, on m’a proposé : 4 fois des massages, 3 fois de la drogue, 12 trajets en taxi-scooter et autant de fois d’en louer. Pour me donner un air occupé et sûr de moi, j’ai mis mes écouteurs même si en réalité, je n’écoute pas de musique. Une journée sans intérêt mérite un lecteur MP3 déchargé.
Beaucoup de semblables sur ma route. Jusqu’à présent, j’avais l’impression qu’il n’y avait que très peu de touristes (du moins occidentaux) au Vietnam. Pourtant ici, ils pullulent (du verbe Pulluler). On les reconnaît au loin à leurs vêtements et à leur teint souvent plus pâle que les locaux. Quand ils arrivent, ils ont l’air perdus, un gros sac sur le dos. Quand ils repartent, ils ont l’air pressés, un gros sac sur le dos. Les plus vieux sont faciles à distinguer, ils marchent en bandes et régulièrement en file indienne. Il n’est pas rare que les hommes portent un pantalon ou un long bermuda beige. Parfois ils ont même le bob assorti et une chemise kaki. Cela leur donne l’air d’aventuriers, j’imagine. Après tout, Indiana Jones s’habille presque de cette façon.
Beaucoup de jeunes également mais ici, très peu avec des pantalons amples et colorés et/ou des dreadlocks. C’est normal, les grandes villes, c’est capitaliste (même en terre communiste). Et mon quartier de backpackers leur donne raison. Je suis déjà passé devant un Burger King, un Subway et une chaîne de donuts dont j’ai oublié le nom. Un premier McDonald’s a même ouvert ses portes l’année dernière.

Ma journée sans intérêt à l’étranger continue justement dans un fast-food local. Tel un aventurier en quête de nouvelles saveurs, je me perds dans la carte, j’hésite, je doute. Et puis, sans trembler, je montre du doigt la photo d’un burger basique dans la catégorie “pas cher”.
Au deuxième étage, au dessus d’un grand carrefour, j’observe l’imposant et incessant défilé de scooters. Mais au milieu de la circulation pourtant chaotique, rien ne se passe. Pas l’ombre d’un accident. Ma journée continue d’être sans intérêt et personne ne semble vouloir y mettre du sien.
Pourtant, à quelques mètres de moi, une femme semble m’observer avec insistance. Elle rapproche bruyamment un banc aux armatures en acier vers la prise murale où son téléphone est en train de charger. En me regardant une nouvelle fois, elle s’arrête au beau milieu du chemin. Si j’étais sur Tinder, on pourrait dire que j’ai un match. Mais ma journée est sans intérêt. Si il y a des femmes que l’on peut objectivement classer dans la catégorie des moches, celle-ci y trouverait sa place sans discussions. Et si vous doutez de mon objectivité pour déterminer qui fait partie du classement ou non, sachez que mon estomac est entièrement de mon avis. Elle est debout, presque immobile et je n’ose la regarder, me rendant bien compte que je suis en train de perdre l’appétit. Un juteux Cheese & Egg Burger à 20 000 VND, vous-vous rendez compte?
Quand il y a un peu d’espace entre les dents, je trouve ça sexy. Mais avoir les deux incisives centrales supérieurs manquantes, reconnaissez que c’est excessif.
Voilà, elle est maintenant assise en face de moi, ne s’intéresse absolument plus à son téléphone en charge et me regarde fixement avec un sourire béat. Si je lève la tête, je suis pris au piège et si elle commence à me parler, je suis fichu. Une serveuse passe, j’en profite pour lui demander le mot de passe du wifi. Elle m’explique qu’il faut monter à l’étage supérieur pour avoir du réseau. Mais quelle bonne idée! me dis-je en attrapant mon ordinateur et ce qu’il reste de mon burger.

En sortant (est-ce utile de vous préciser que je n’ai pas été renversé ni même effleuré par un scooter en traversant le carrefour?), je passe devant deux stands qui semblent cuisiner du chat. Goûter du chat, oui, pourquoi pas. Après tout un chat n’est pas plus mignon ou respectable qu’un lapin. Enfin, je crois. Mais cette activité à l’intérêt relatif nécessite un estomac vide. Et le mien est encore tout retourné. Bien sûr je pourrais aller au musée, en plus ce n’est pas cher. Mais cela remettrait en question toute ma journée sans intérêt (et le titre de cet article) déjà bien entamée. Alors je continue de marcher, sans plan, à peu près sûr de ne rien trouver. C’est un succès.

A peine de retour à l’auberge, il est déjà l’heure de sortir se nourrir. Heureusement, une supérette remplie de bonbons, de Toblerone, de Pop-corn et aussi de bananes (5 fruits et légumes par jour), est à moins de 100 mètres. Hier on m’ouvrait la porte avec un grand sourire, aujourd’hui, le vigile du Family Mart est avachi sur un scooter et regarde son portable. Il n’y a définitivement plus de saison. Pas grave, la journée touche bientôt à sa fin et pour être sûr qu’elle soit bien sans intérêt, je m’imagine déjà regarder un film en revenant.
A mon retour, l’un des deux surfeurs est en train d’utiliser la télécommande du climatiseur qu’il vient de repérer à côté de l’entrée. Dans ma journée sans intérêt, tout est bien qui finit bien.

Les journées sans intérêt ne laissent aucun souvenir. C’est peut-être pour ça qu’on ne les voit pas passer.

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