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Ferme les yeux, tu vas mourir.

Incapable de réagir, j’entendais encore la musique dans mes écouteurs. Sans réussir complètement à m’endormir, mon inconscient prenait le contrôle sur mes pensées. Cet état parfait de somnolence ne m’arrive la plupart du temps qu’en déplacement, assis, en voiture, dans un train, ou en l’occurrence ici, sur la banquette en acier d’un ferry. Je quittais l’île de Koh Phangan pour la Malaisie et dans mon demi-sommeil, j’étais désormais au volant d’une voiture que j’essayais de maîtriser dans un virage pris trop rapidement, après quelques secondes d’inattention. Ce qui ressemblait alors à un rêve avait été réalité quelques années auparavant.
À cette époque, on m’appelait encore jeune homme mais je ne savais plus vraiment si c’était pour me faire plaisir ou me rappeler à la réalité. J’avais 19 ans et je découvrais avec entrain une nouvelle forme de liberté, le volant de ma nouvelle voiture bas de gamme entre les mains.
Elle fonçait maintenant à vive allure, droit dans le fossé. Je venais de perdre le contrôle de ma vie. Il n’y avait plus rien à faire. Un instant, je me suis cru déjà mort. J’ai fermé les yeux et rien n’a défilé. Peut-être, simplement parce que de cette vie, il n’y avait rien à faire défiler.
Le choc n’a pas tardé. De vifs flashs de couleurs sont venus bouleverser le noir de mon champ de vision. Ma tête, malgré l’airbag, venait de cogner fortement le volant. La voiture, complètement de travers, était maintenant plantée dans un arbre et j’avais fini par atterrir au niveau de la portière du côté passager. Juste derrière, le fossé continuait sur une cinquantaine de mètres, synonyme de tonneaux et d’une mort ou paralysie quasi-certaine.

accident voiture arbre

L’explosion du coussin gonflable avait légèrement noirci mon pull et la musique trop forte de l’autoradio avait laissé place à un lourd silence. Ma première réaction en constatant l’étendu des dégâts consista en un immense cri, mélange de dépit et de colère. Alors que je rêvais d’indépendance, je n’étais maintenant plus qu’un gosse qui venait de s’écraser lamentablement contre un arbre et il allait falloir assumer ce statut.
J’avais l’impression d’avoir l’index gauche cassé. Pourtant, très vite, la scène m’a fait rêver. L’intérieur de ma voiture, rapidement devenu familier, avait été en l’espace d’un instant complètement transformé. En plus d’un face à face avec la mort et d’une sensation de renaissance, j’étais en train de m’offrir une expérience unique. Des fragments de pare-brise s’étaient éparpillés un peu partout dans l’habitacle et jusque dans mes cheveux. J’étais Bruce Willis dans Piège de cristal. Un gamin dans une salle de jeu dont il fallait se sortir.
L’avant du véhicule était totalement compressé et ouvrir la porte me demanda de longues minutes. Une bonne dose de coups de pied dans la portière, en gardant enclenchée la poignée, tout en se tenant au volant et contre le siège pour ne pas tomber.

accident voiture pare brise

En faisant mes premiers pas sur le bitume, la sensation du sang qui séchait sur mon visage me fit réaliser que mon arcade était ouverte. J’avais la démarche d’un crabe et des étoiles dans les yeux. Rocky venait de perdre son match contre l’Arbre haut-savoyard mais il n’y avait pas d’Adrienne à l’horizon pour me réconforter. Seulement un homme, qui est rapidement venu à ma rencontre.

Je vous ai vu vous écraser, j’ai eu peur que vous soyez mort mais j’ai appelé les pompiers. Ça va?

Ces mots sonnaient comme des excuses. J’avais mis tellement de temps à me sortir du véhicule… Et si j’avais été mourant, son aide aurait peut-être pu faire la différence. Je n’ai pas pris la peine de lui répondre autre chose qu’un bref “ça va merci”  en continuant de m’éloigner. J’étais en trop bon état pour qu’on s’apitoie sur mon sort et on allait bientôt me juger. Mais qui allait dire à cet adulte qu’il avait simplement été lâche?
Mon portable décédé dans la carcasse, je n’avais pas beaucoup d’autres options que d’attendre l’arrivée des sauveurs.

accident voitureaccident voiture airbag

Ensuite, monsieur le gendarme, arrivé lui aussi sur place, répéta plusieurs fois que je devais rouler à 110-140. Dans l’état second d’un survivant, je n’avais ni besoin ni envie de me justifier. Oui, je roulais trop vite, 70 au lieu de 50km/h. Je n’avais également pas dormi de la nuit, la route était mouillée et dangereuse (une voiture avait déjà fait la même cascade que moi peu avant), ma voiture était rabaissée et mes freins en mauvais état. Mais dommage, je n’avais pas bu d’alcool. Je n’étais donc qu’un idiot de plus qui avait fini dans le fossé. Il n’y avait pas grand chose à faire de moi.
Mon père est arrivé sur place bien plus choqué que je ne l’étais. Il avait failli perdre un fils. Moi, j’avais juste failli perdre la vie.

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